chapitre un : la fragmentation au début, cela semblait inoffensif. la culture avait l'habitude d'évoluer lentement ; les styles persistaient, la musique résonnait, les idées prenaient du temps à s'installer. il y avait des saisons pour les choses : un été, un album, un titre, une blague. les choses duraient assez longtemps pour vous y plonger. puis le tempo a changé. un nouveau son a explosé et s'est éteint en quatre jours. une phrase a inondé votre fil d'actualité, est devenue inévitable, et a été oubliée avant que vous ne la compreniez. des esthétiques entières sont apparues, ont atteint leur apogée, puis ont disparu entre le petit-déjeuner et le coucher du soleil. ce n'était pas seulement le rythme. c'était le sentiment que rien n'appartenait plus à personne. la chronologie est devenue un mixeur, des styles qui définissaient autrefois des générations sont devenus des matières premières pour un remixage infini. la nostalgie s'est effondrée en esthétiques détachées du contexte, dépouillées de mémoire et recyclées pour l'ironie et la portée. les gens se sont adaptés. l'attention s'est redéfinie : nous avons appris à vivre en rafraîchissant, à chasser le prochain pic, le prochain fragment qui donnait un sentiment momentané de vie. ce qui est resté constant, c'était le mouvement toujours en avant, toujours plus vite. l'identité a suivi le même rythme. vous n'étiez plus un seul soi ; vous étiez des dizaines de sois, superposés à travers les fils, optimisant pour différents publics. ...